Bulletin de l'institut égyptien
Les Pélasges et leurs descendants les Albanais
Dr. Frassari Adamidi
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Adamidi Frassari. Les Pélasges et leurs descendants les Albanais. In: Bulletin de l'institut égyptien, tome 3, 1902. pp. 5-15;
doi : https://doi.org/10.3406/bie.1902.4312
https://www.persee.fr/doc/bie_1110-1938_1902_num_4_3_4312
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LES PÉLASGES
ET
LEURS DESCENDANTS LES ALBANAIS
INTRODUCTION.
L’histoire des Pélasges est à l’ordre du jour au sein de l’Institut et
présente un intérêt tout particulier grâce aux rapports entre ce peuple
archaïque et l’Egypte.
Mon savant confrère, M. le Dr Apostolidès a entamé déjà cette
question dans les deux précédentes séances de votre honorable Aca¬
à démie, l’île de à propos Lemnos. d’une inscription commémorative préhistorique trouvée
En terminant, l’orateur nous a dit « que l’inscription ne pouvait
être pélasgienne, étant donné que les Pélasges avaient été entièrement
hellénisés et absorbés par les Hellènes ».
Je me propose aujourd’hui de relever les errata de sa conclusion et
de démontrer devant vous le contraire de son affirmation, c’est-à-dire
que les Pélasges n’avaient pas été absorbés par une petite race hellé¬
nique, pélasgienne elle-même, qu’ils continuent à survivre encore
aujourd’hui, masqués sous le nom d’Albanais, leurs descendants.
Ce sera le strict résumé de vingt années d’études que j’aurai l’hon¬
neur d’exposer devant vous en le divisant en deux chapitres : l’his¬
torique et la linguistique.
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CHAPITRE I.
HISTORIQUE
A. — Tous les anciens historiens reconnaissent à l’ unanimité que la
Grèce, avant d’être appelée 'EXXcL, portait le nom de iieXx. — Maintenant nous allons démontrer l’erreur de la proposition
de notre confrère qui prétend que les Pélasges furent plus tard ab¬
sorbés tous par les Hellènes. « Les Pélasges en grande partie ne
purent pas être absorbés par leurs frères les Hellènes, et ils conti¬
nuent à survivre jusqu’à nos jours, masqués sous le nom d’Albanais
ou Skypetares ».
En effet, aussitôt après la victoire de Salamine, les Hellènes, sur¬
tout les Athéniens, dans leur gloire produisirent le maximum de l’effort
intellectuel.
L’éclat de l’époque de Péri clés devait effacer toute civilisation pré¬
cédente des autres Pélasges. L’anathème de barbares fut lancé à tous
ceux qui restèrent indifférents à la civilisation athénienne et qui ne
participaient pas aux jeux olympiques. Les pays d’origine des Hellènes,
Epire, Yllyrie, Macédoine, furent nommés barbares et exclus du conseil
d amphictyon.
C’est à peine si le roi de Macédoine, Alexandre, fils d’Amintas, fut
nommé philhellène et a été reçu aux jeux olympiques. Les Hellènes
avaient créé une barrière contre les autres peuplades pélasgiques du
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Nord, leurs congénères. Philippe, pourtant, a franchi cette frontière
barbare au désespoir de Démosthène qu’il appelle barbare, et il parvint
par sa sagacité et sa force à s’immiscer dans les affaires sacrées des
Hellène. Delphes en s’intitulant du nom du protecteur, mais jamais du nom
Encore plus loin est allé son fils, Alexandre le Grand, l’intrépide
enfant des deux grandes maisons royales des Pélasges du nord, de
ces deux royaumes alliés. Après avoir réuni les Yllyro-Epirotes et les
Macédoniens sous son sceptre, il parvint à rapprocher le deux éléments
séparés, les Hellènes aux Pélasges barbares et put conquérir ainsi
l’Orient dide des par svants la force hellènes. de ses phalanges pélasges et par la lueur splen¬
L’armée que Parménion commandait était formée, d’après Diodore,
presque entièrement des Macédoniens, dont la langue était incom¬
préhensible aux Hellènes. Sur 30,000 soldats, il n’y avait que 500
Hellènes et 1,500 Thessaliens et Hétoliens que Strabon hésite à nom¬
mer Hellènes. Alexandre, lui-même, parle macédonien chez lui, avec
sa mère Olympiade d’Epire et c’est en dialecte macédonien qu’il
s’adresse à ses soldats. Mais Alexandre, tout en parlant barbare,
eut, d’après le témoignage des auteurs, pour maître le grand Aristote
et pour guide les héros d’Homère. Achille, son grand-père, était son
idole dans YHliade d’où il puisait des forces pour toutes ses expédi¬
tions. Ce grand Pélasge va jusqu’aux Indes payer ce que la langue
pélasge doit au sanscrit et acquitter en Egypte la dette due à la civi¬
lisation de Thèbes.
Arrière-fils de Dodoni, il fait sa prière au sanctuaire de Zéus de
Libye, frère de l’oracle pélasgien et établit enfin en souvenir, à
Alexandrie, le centre d’une nouvelle civilisation pélasgo-égyptienne.
Les Ptolémés, malgré cette alliance des Epiro-Macédoniens et des
Hellènes, ne purent pas helléniser les Pélasges du nord, sauf quelques
habitants limitrophes. Il n’en eurent pas le temps d’ailleurs. Car,
malgré la résistance téméraire de Pyrrus et de ses Epiro-Yllyriens,
de Teuta, d’Agron ou d’Arian, les Romains imposèrent en revanche,
par le massacre et l’esclavage, leur joug dur sur l’Epiro-Yllyrie et la
Macédoine. Ces Pélasges du nord sont donc restés stationnaires et
étrangers à la langue et à la civilisation hellène jusqu’à la domination
romaine.
La preuve la plus éclatante s’en trouva dans les divers historiens
et géographes de l’époque romaine qui visitèrent à plusieures reprises
ces pays inexplorés.
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Parmi d’antres c’est Strabon qui nous peint précisément l’éthnographie de ces pays du nord habités aujourd’hui par les Albanais. Il
est d’ailleurs d’accord dans les grands traits de son exposé avec
Ptolémée, Skylax, Titus Lyvius, etc. Voici des passages de ce célèbre
historien : « E'javSpo; ’iXXupia, ’'Hueipck ts », les pays nobles d’Illyrie et
d’Epire, unis à la Macédoine, forment un grand parallélogramme
s’étendant de l’Hellespont à l’Adriatique, Korkyra y comprise, et qui
fut nommé sous le nom générique de Macédonia ; car, ajoute-t-il,
dans toutes ces provinces «xotv ts -wacrri.xoupTi te xat yXapûoi -/pâmai »
c’est-à-dire les habitants se servaient du même dialecte, de la même
coiffure et portaient les mêmes habits. Donc ces Pélasges, sous la
domination romaine, ne parlaient que leur idiome propre et commun
dans toute la grande Macédoine, ils ne parlaient pas la langue attique
des Hellènes. Les limitrophes des Hellènes et quelques colonies
étaient biglottes ; Thucidide aussi en fait mention. Ailleurs Strabon
nous étonne davantage en disant « BàpSapot souat MaxsSovJav xat pipYi
OsaaaXîa ;, AtTwXtaC xat ’Axapavtac, ©saupiùToi, MoXoaaot, 'Aôaptavxsi;, ’'EOvyj
’ HTTsiptoxtxà » c’est-à-dire: « Les barbares occupent la Macédoine, ainsi
qu’une partie de la Thessalie, de l’Aetolie et de l’Acarnanie, les
Molosses, les Thesprotes et les Athamantes, tous peuples Epirotes. »
Il est bien évident qu’à l’époque de Strabon encore tous les Macé¬
doniens, les Illyriens et même les Epirotes Molosses, dont Aristote
admire le gouvernement et leur civilisation, sont considérés tous
barbares par leurs frères Hellènes.
Ce témoignage si net de Strabon sert à démentir tous ceux qui
prétendent que les Epirotes, Macédoniens et Illyriens, furent hellénisés.
Curtius affirme que la langue macédonienne était incompréhensible
aux Hellènes. Le professeur O.E. Müller, dans un gros travail sur les
Doriens, démontre que le dialecte macédonien est semblable à celui
des Epirotes et le même que l’idiome des Illyriens. Le professeur
français Benlow, d’accord avec O.E. Müller, certifie que cette grande
Macédoine se servait du dialecte pélasge le plus archaïque, analogue à
celui des Albanais d’aujourd’hui. C’est le dialecte éolien, et non la
langue attique que parlaient les Pélasges du nord restés intacts et,
en cela, tous sont d’accord avec Strabon.
Cet idiome donc des Pélasges de la Macédoine va être sauvé dans
ces contrées malgré le grand cataclysme balcanique du moyen âge ;
protégés qu’ils étaient dans les montagnes contre les flots des envahis¬
seurs, ils purent conserver leurs mœurs et leurs traditions. Quoique
les divisions juridiques des Romains et les séparations ecclésiastiques
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des Byzantins paralysèrent toute action commune de ces Pélasges, ces
belligérants exerçaient leur instinct des armes aux rangs de leur com¬
patriote Dioclétien et des autres généraux romains. De sorte qu’à plu¬
sieurs ils étaient reprises,naccessibles dans les aux rochers flèches qui des leur assaillants servaient et d’abri aux torrents ou d’asile, ds
Huns et tout mélange était impossible, ainsi que la linguistique le
prouvera.
C’est ainsi que la langue de ces Macédoniens écrite par un évêque
du ivme siècle, est l’albanais d’aujourd’hui. Au xim9 siècle, ces Pélasges
Epiro-Macédoniens sont, pour la première fois, mentionnés par Anna
de Comnénos sous la dénomination nouvelle d”Ap<.'/'U-xt ou àpëxvtxxij
àXêavot, lorsque les Macédoniens ou ’Apixvol se battaient à Dyrrhachium
sous de Guiscard leur chef et Kembescourti ses Normands. (pied-court, en albanais) contre Robert
Depuis cette époque, les Européens appellent ces Pélasges du nord,
tantôt Albanais, tantôt Epirotes, tantôt Macédoniens. Nous les trou¬
vons en Italie sous le nom Real Cavalaria Macedoniensum des Alba¬
nais ; ces mêmes Epirotes formèrent « la cavalerie légère albanaise »
à Paris, qui mirent fin à la guerre intestine des Guise.
A partir du xivm0 siècle, ces Pélasges du nord recommencent une
série d’émigrations semblables à celles des Héracléïdes Doriens, leurs
ancêtres, vers la Grèce. Ils furent appelés par les despotes de la Morée à se partager les plaines, dévastées et dépeuplées qu’elles étaient
par les pirates de la Méditerranée. Ces émigrations, qui durèrent plu¬
sieurs siècles, furent l’objet d’études approfondies pour le regretté
savant Neroutsos bey, l’archéologue connu d’Alexandrie. « C’est par
milliers, dit-il, que ces Pélasges de l’Epire et de l’Yllyrie émigraient
vers la Grèce accompagnés de leurs enfants, de leurs femmes et de
leurs chiens. » Ces émigrés vont régénérer le pays de leurs ancêtres
Pélasges ; ils vont jouer un grand rôle dans l’histoire hellène moderne,
tout en conservant à côté des Hellènes leur langue propre qui est
l’albanais actuel, et leurs mœurs de l’Albanie. Tout dernièrement
encore Robstein a compté plus de 600,000 de ces Pélasges qui se ser¬
vent exclusivement de leur dialecte albanais dans leurs foyers; en
pleine Athènes et aux environs, des quartiers et des villages conser¬
vèrent cet idiome dû pays natal.
Après la conquête de la Grèce par les Ottomans, des Albanais, afin
d’éviter le joug, émigrèrent en Italie, où l’on chante encore en langue
albanaise à chaque printemps le chant de leur départ de Morée : Oh !
Morée po te shopo te vere ; atyé kam velèzer tim : « Oh! Moréa, je te
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regarde et je te contemple, car j’ai laissé mes frères là ». Tous ces
Albanais l’albanais italiotes dans leurs nommés familles. Greci par les Italiens se servent encore de
Le même sort de la Grèce était réservé à l’Epire qui fut envahie
par les Turcs, après la prise de Jannina, où 2000 têtes d’ Albanais
furent suspendues sur les forts. Tandis que les autres Pélasges YllyroMacédoniens, groupés autour de leur héros, le prince Skender bey
Kastrioti, luttèrent pendant vingt-sept ans contre les Sultans pour
succomber à la fin, après avoir concouru à la défense de l’Europe.
L’historien anglais Gibbon, ignorant que ces Pélasges Albanais étaient
des descendants des Alexandre et des Achille, a voulu diminuer la
valeur de ces héros de Croia de la Dardanie. Mais Skender bey luimême, nous dit l’historien de cette époque, Delpessis, appelait ses
soldats Epirotes ou Macédoniens, et en réponse à une lettre de Naples
il ajouta : « Mes soldats descendants des phalanges d’Alexandre et de
Pyrrus ne seront jamais timides 1 » Delpessis affirme que les Epirotes
parlaient albanais.
Après la mort de Skender bey toute union de ces tribus pélasges
fut impossible.
Une bonne partie se convertit au mahométisme, d’autres se réfu¬
gièrent par centaines de milliers en Italie et en Sicile où il jouèrent
un certain rôle dans les évènements politiques modernes : les familles
des Albani, Crispi, sont assez connues. D’autres gardèrent leur religion
et ne furent qu’en apparence assujettis ; ce sont les Latins. Enfin les
chrétiens orthodoxes, fidèles à l’Eglise grecque, se confondent souvent
avec leurs congénères Hellènes. Gomme musulmans ou catholiques
les Pélasges font preuve de leur intrépidité dans les rangs de l’armée
ottomane, et maintes fois les Kyprelis les Baïractars et d’autres chefs
albanais ont attiré l’admiration de l’Europe, en jouant ainsi un rôle
glorieux dans l’histoire de la Turquie. Ils forment ainsi un des élé¬
ment des plus fidèles et des plus puissants de l’Empire ottoman. , Comme chrétiens orthodoxes grecs, ces Albanais se sont révélés
par le génie du mal et du bien, tel que Ali pacha Tépéleni, le lion de
Janina ; ils donnèrent le réveil à la guerre de l’insurrection de la
Grèce qui ne fut à la vérité qu’une lutte intestine entre des Pélasges
chrétiens et des Pélasges musulmans. « Tous ces héros de la mer,
dit Néroutsos, Miaouli, Tombazi, Boubouli, Bouboulina, Canaris, les
Souliates, les Botzaris, Criezi, Bythezi ou Kolocotronis, n’étaient que
des Albanais ».
Pélasge musulman, le glorieux Méhémed Ali pacha, fils d’Ali, né
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en Albanie, vint avec ses Albanais fonder en Egypte la nouvelle
et glorieuse dynastie actuelle des Vice-rois ou Khédives. Il ouvrit
ainsi une nouvelle ère de civilisation en Egypte à l’exemple de son
aïeul, le fondateur d’Alexandrie.
Voici donc que l’histoire nous apprend à reconnaître les Pélasges
chez leurs descendants les Albanais qui se trouvent actuellement
répandus en Albanie, Macédoine, Epire, en Grèce et en Italie.
C’est la langue qui nous prouvera leur identité, étant donné que ce
dialecte d’autres. est unique dans son genre et ne peut pas se confondre avec
Dr Adamidi
(à suivre .)
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